La Cosmographia Universalis de Sebastian Münster est un ouvrage majeur du XVIe siècle. La Bibliothèque patrimoniale conserve l'édition en latin de 1550, la plus complète avec ses 1233 pages et 910 gravures sur bois. Zoom sur un livre d'exception..

 

Contenu de l'article

 

 

Qui est Sebastian Münster ?

Sebastian Münster est né en 1488 à Nieder-Ingelheim au sein du Saint Empire Romain Germanique. A Heidelberg, il étudie les arts libéraux : le Trivium (grammaire – dialectique – rhétorique) et le Quadrivium (arithmétique – musique – géométrie – astronomie).

 

Sebastian Münster par Christoph Amberver, vers 1552.
Source : Berlin State Museum (licence creative-commons)

 

En 1512 il devient moine de la congrégation des Cordeliers. Ses centres d'intérêts : la théologie, la philosophie et la géographie qu’il étudie aux côtés de Johannes Stöffler (1452 – 1531), professeur de mathématiques et de géographie à l'Université de Tübingen.

Alors que l'Europe catholique s'embrase en 1517 suite aux écrits de Martin Luther, Sebastian Münster est professeur de Théologie et d'Hébreu à Heidelberg. A 40 ans, il est nommé professeur à Bâle. L'année suivante Bâle adopte la Réforme. Münster quitte l'ordre Franciscain des Cordeliers pour rejoindre l'Eglise Suisse réformée.

En 1540 Sebastian Münster commence à travailler sur sa Cosmographia Universalis qui verra le jour dans une première édition en Allemand quatre ans plus tard grâce au concours de son beau-frère l'imprimeur bâlois Heinrich Petri (1508 – 1579).C'est en 1550 que l'ouvrage paraît en Allemand et pour la première fois en Latin.

Deux ans plus tard Sebastian Münster, malade, meurt de la peste à Bâle. Au-delà de sa disparition, cet humaniste, représentant de l'école Allemande de cartographie, continue de marquer le XVIe et XVIIe siècles, son ouvrage étant réédité jusqu'en 1628 pour l'édition Allemande.

Dans le dictionnaire du lexicographe Antoine Furetière (1619 – 1688) paru en 1690, comme dans le Dictionnaire de Trévoux, œuvre Jésuite, le terme de cosmographe est expliqué au travers de l’œuvre de Sebastian Münster : 

 

« Munster étoit un grand Cosmographe. »

 

L'Europe au XVIe siècle

L'Europe du XVIe siècle est en pleine mutation. Au milieu du siècle précédent l'invention par Johannes Gutenberg (1400 – 1468) de l’imprimerie à caractères mobiles révolutionne la diffusion des idées. En Allemagne en 1500, 200 presses à imprimer sont en activité. Les historiens Lucien Febvre et Henri-Jean Martin estiment qu'entre 1450 et 1499 près de vingt millions de livres sont imprimés.

Cette même période est marquée par les découvertes d'explorateurs européens comme Christophe Colomb (1451-1506). Le récit de ces voyages participe à la connaissance du monde. Les princes électeurs du Saint Empire Romain Germanique ne dépêchent peu, ou pas, d'explorations mais financent ces dernières.

Dans un contexte politique particulièrement florissant, deux puissances se partagent respectivement le Nouveau-Monde et le Pacifique : les royaumes d'Espagne et du Portugal. Les traités de Tordesillas (1491) et de Valladolid (1550 – 1551) l'atteste. La Renaissance italienne rayonne sur l'Europe, François Ier pose les bases de ce que les historiens considèrent comme « le premier absolutisme. ». En Angleterre, Henry VIII se sépare de l'église de Rome tandis qu'en Allemagne, les écrits de Martin Luther (1483 – 1546) amorcent l'arrivée du protestantisme. 

 

 

Qu'est-ce qu'une cosmographie ?

C'est dans ce monde en pleine mutation que Sebastian Münster grandit et développe son œuvre.

Qu'est-ce qu'une cosmographie ? Étymologiquement c'est l’écriture de l'Univers (Kosmos – Univers & Graphien – Écriture). Si aujourd'hui on définit clairement que la Cosmographie est une théorie philosophique sur l'origine et la structure de l’univers, au XVIe siècle un débat épistémologique existe. Pour certains, la cosmographie est une étude géométrique, mathématique de la Terre et de l'Univers à partir du point de vue du ciel (méridiens, parallèles, …). C'est un courant qui prend pour base la Géographie de Ptolémée. Pour d'autres la cosmographie traite en même temps d'histoire,  de mœurs, d'us et coutumes des pays et lieux étudiés.

Les historiens contemporains Leonardo Ariel Carrio et Andés Vélez Posada rapportent ce débat d'idées avec la citation de Tomasso Garzoni (1549-1589), chargé d'établir au XVIe siècle un rapport sur toutes les professions du monde :

Les géographes et les cosmographes sont tous les deux une même chose ; mais il y a certains auteurs qui, en prenant au sens large le mot cosmos, qui signifie monde, veulent faire des cosmographes ceux qui décrivent ensemble toute la machine de l'univers avec le globe des cieux, comme le fait le moderne Jason de Nores, alors que les géographes seraient seulement ceux qui décrivent notre terre habitable d'ici-bas. Mais il y a d'autres auteurs qui, guidés par le sens propre et restreint du mot cosmos, qui signifie ornement ou décor, veulent faire des cosmographes ceux qui, au lieu de s'occuper des quantités ou de la distance entre les lieux, racontent et décrivent la nature et la propriété des pays et des choses qui s'y trouvent, telles que les mœurs, les peuples et les choses notables ayant eu lieu au cours du temps ... 

 

Sebastian Münster inscrit sa Cosmographia Universalis dans ce second courant de pensée. Au-delà d'une description physique et quantitative de la Terre, il s'applique à faire ressortir les caractéristiques des territoires sur un plan géographique, zoologique, sociologique, et surtout historique. Comme il le dit lui-même dans son avant-propos :

Tout le monde confesse qu'elle (l'histoire) est quasi la seulle reigle de la vie des hommes, tant en la maison qu'aux champs, tant en paix qu'en guerre : & que sans les lettres il ne seroit memoire des faitz de noz ancestres.

 

 

De toutes les éditions de la Cosmographia Universalis, l'édition latine de 1550 avec ses 1233 pages et 910 bois gravés, découpée six livres, est la plus importante

Livre I : Astronomie, Mathématiques, Géographie physique, Cartographie

Livre II : Angleterre, Écosse, Irlande, Espagne, Portugal, France Belgique

Livre III : Allemagne, Alsace, Suisse, Autriche, Carniole, Istrie, Bohème, Moravie, Silésie, Poméravie, Prusse, Livonie

Livre IV : Danemark, Norvège, Suède, Finlande, Islande, Hongrie, Pologne, Lituanie, Russie, Valachie, Bosnie, Bulgarie, Grèce, Turquie

Livre V : Asie Mineure, Chypre, Arménie, Palestine, Arabie, Perse, Asie centrale, Afghanistan, Scythie, Tartarie, Inde, Ceylan, Birmanie, Chine, Inde de l'Est, Madagascar, Zanzibar, Amérique

Livre VI : Mauritanie, Tunisie, Libye, Egypte, Sénégal, Gambie, Mali, Afrique du Sud, Afrique de l'Est.

 

Moderna Evropae Descriptio

 

La Cosmographia Universalis ne se borne pas qu'aux arts libéraux, à l'histoire, à la géographie, à la cartographie. Sont aussi abordées les lois et coutumes, traditions, légendes. Münster dresse aussi les généalogies des souverains des territoires étudiés. Dans la complexité des thèmes abordés la Cosmographie de Münster laisse entrevoir ce que seront, bien plus tard, les sciences sociales. Ce qui explique le succès et l'importance de cette œuvre dans l'Histoire.

 

cosmographie travaux

Metalicorum labor

 

Une diffusion large, un ouvrage “pour les hommes”

Généralement à la Renaissance, les ouvrages scientifiques sont rédigés en latin et dans la langue de l'auteur. Sebastian Münster a fait le choix de publier la Cosmographia Universalis d'abord en allemand et ensuite de faire des traductions : latin, français, italien et tchèque. Ce choix de l'usage de la langue vernaculaire est justifié dans sa préface : son ouvrage est pour les hommes, les amateurs d'histoires et les lecteurs qui s'intéressent à l'histoire du monde.

Il fait tomber la barrière du latin et offre les connaissances compilées dans son œuvre à tous les lettrés d'Europe, et non pas uniquement aux érudits. Cette volonté de diffusion au plus grand nombre se retrouve aussi dans le style de l'auteur. Münster ne veut pas seulement transmettre un savoir il veut aussi divertir. La Cosmographia Universalis s'inscrit alors dans la forme encyclopédique typique du XVIe siècle. S’il est encore besoin d'illustrer la double vocation de l’œuvre de Sebastian Munster il faut nous tourner vers certains appréciateurs de la Cosmographia Universalis comme Montaigne (1533 – 1592) ou Robert Burton (1577 – 1640) qui ont relevé le caractère instructif et divertissant de l'ouvrage. Richard Eden, historien - éditeur (1521 – 1576) en charge de l'édition de certains livres de la Cosmographia Universalis en anglais révèle que la traduction de l’œuvre de Münster est née du plaisir qu'il avait eu à la lire et qu'il ne pouvait se résoudre à ne pas la partager avec ses contemporains anglophones.

 

Les illustrations

Le succès de La Cosmographia Universalis, tient aussi des nombreuses gravures sur bois. Ces illustrations ont été réalisées par des grands noms de la gravure sur bois : Hans Rudolf Manuel Deutsch (1525 – 1572), Urs Graf (1485 – 1528), Hans Holbein le jeune (1497 – 1543) ou encore David Kandel (1520 – 1592).

Villes, faune, flore, hommes, scènes de vie, coutumes y sont magnifiquement représentées. Avec l'alliance image/texte la lecture se fait plus aisée, on découvre, on voit. Sebastian Münster le dit lui-même dans son avant-propos :

...reviens a toy amy, lecteur, quiconque tu sois, qui prens plaisir en la Cosmographie, qui est un estude lequel a toujiours esté tres plaisant a gens honnestes, & l'est encore aujourdhuy, principalement quand il y a peintures de regions, images de villes, pourtraitures de bestes & plantes rares & d'excellence, & d'antiquitez & vrayes effigies d'illustres personnages...

 


 Le succès

Un autre aspect du succès de la Cosmographia Universalis est la méthode employée par Münster pour la rédiger. L'ouvrage est le fruit d'un véritable travail de collecte, presque collaboratif. Münster l'explique dans son avant-propos, ses compagnons et lui se sont appuyés sur des écrits d'explorateurs, mais aussi sur les contributions de Princes, Seigneurs, Prélats, à qui ils avaient adressés des lettres pour recueillir des informations. Münster n'hésite pas à préciser quand certains se sont montrées moins coopératifs. « De France je nen ay peu rien tirer ». Münster présente une liste d'écrits de 69 auteurs qui ont participé à la rédaction. Il ajoute un index des noms de lieux et des personnages, qui de façon très moderne facilite la navigation dans l'ouvrage.

 

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Enfin c'est Sebastian Münster, toujours dans son avant-propos, qui nous apporte le dernier point expliquant le succès et l'importance de la Cosmographia Universalis

Quiconque pourra monstrer que son opinion est meilleure que la nostre, tant sen faudra que nous luy contradisions, que mesme nous le remercierons s'il nous peut enseigner mieux car nous aymons mieux la verité, qu'opinastrerie.
 

 L'objet même de la Cosmographia Universalis n'est pas la transmission unilatérale de l'auteur au lecteur mais bien un échange. C'est une œuvre d'ouverture qui encourage et entraîne débats et discussions.

Une cinquantaine de rééditions sur 83 ans ! Des éditions, souvent augmentées comme notamment l'édition française de 1575 par François Belleforest (1530 – 1583) enrichie de 627 pages au sujet de la France, de ses villes, sa géographie, ses coutumes …

Nous l'aurons compris la Cosmographia Universalis est un ouvrage majeur dans cette Renaissance bouillonnante.

 

L'exemplaire conservé à la Bibliothèque patrimoniale de Pau

Même s’il manque à cet exemplaire, la page de titre au verso de laquelle se trouve le portrait de Sebastian Münster, ainsi que quatre pages et cinq gravures sur bois, cette édition en latin est la plus complète avec ses 1233 pages et 910 gravures sur bois. C’est aussi la dernière édition faite sous la supervision de Münster. 

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Malgré les quelques manques signalés plus haut, les 14 cartes doubles sont bien présentes. Ces cartes sont le reflet de la vision du monde du XVIe siècle. La plus emblématique de toute TYPUS ORBIS UNIVERSALIS apparaît pour la première fois dans l'édition Latine de 1550. Elle remplace en première position la carte du monde ptolémaïque. Cette carte est une reprise modifiée d'une carte parue dans un autre ouvrage de Sebastian Münster en 1540, la Geographia de Ptolémée. C'est donc une version « modernisée » de cette carte que Münster présente. La carte est signée par le graveur David Kandel qui a retouché certains points, la représentation des nuages et des vents est différente.

 

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TYPUS ORBIS UNIVERSALIS, 1540. Geographia de Ptolémée, S. Münster. 
Source : Paper Museum Atlanta (licence creative-commons) 

Sur la représentation de l'Amérique du Nord subsiste seule la mention de « Terra Florida ». C'est la plus complète représentation du monde et de ses 4 continents pour le XVIe siècle , Münster considérant l'Amérique comme une île. Sur la carte de 1540 est mentionnée pour la première fois la mention de « mare pacificum », que l'on retrouve aussi sur la version de 1550.

Les contours de l’Afrique sont plutôt bien dessinés. Le Nil est représenté selon la croyance de l'époque comme trouvant sa source dans des montagnes sacrées et deux lacs jumeaux. Sur la partie orientale une île nommée « Zipangri », représentant en réalité le Japon, n'est pas associée par Münster à l'Asie mais attachée au Nouveau-Monde. Les cartes suivantes sont,  une carte du monde selon Ptolémée, et des cartes de l'Europe, de l'Espagne et du Portugal, de la France, de Germanie, de Suisse, de Souabe et de Bavière, de Bohème, de Pologne, de Grèce, des Indes (Asie), de l'Afrique, et du Nouveau-Monde.

 

Les illustrations : faits courants et curiosités

Au-delà de ces 14 cartes, l'intérêt de la Cosmographia Universalis est dans les nombreuses vignettes ponctuant le texte. Nombre d’entre elles représentent des villes (Paris, Rome, Constantinople, Jérusalem, Florence, Venise, etc.…)

Fait courant pour la période, les gravures sur bois sont réutilisées plusieurs fois dans l'ouvrage, probablement pour des raisons économiques. C'est le cas dans cet ouvrage de 1233 pages. Par exemple, la représentation d'une scène de bataille que l'on retrouve aux pages 195, 412, 460 et 747.

Il est intéressant de noter que certaines de ces vignettes ont été découpées. Une première se trouve page 917. La comparaison avec l'exemplaire de la Bibliothèque Municipale d'Orléans, nous a permis de trouver qu'il s'agissait de la représentation d'une femme accompagnée d'une légende sur le thème de la foi et de l’impiété. Fait étrange cette vignette a été découpée à cette page mais est toujours présente aux pages 61, 836, 1051.

Une autre vignette, probablement censurée, page 1095, représentait une femme de dos soulevant son jupon pour trouver un mari.

Une grande partie de ces vignettes et gravures sur bois sont signés de graveurs reconnus au XVIe siècle, dont on peut apercevoir la signature : H-H. pour Hans Holbein le jeune ou encore DK pour David Kandel. Une des gravures de David Kandel illustrant l'article « De Rhinocerote » est une reprise du rhinocéros d'Albrecht Dürer de 1515.

 

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De Rhinocerote

 

Malgré l’absence de la page de titre pour l'exemplaire de la Bibliothèque patrimoniale de Pau,  il est possible de le dater grâce aux erreurs de paginations communes à ces éditions, cf. exemplaires de la Bibliothèque municipale d'Orléans et de la Bibliothèque du Congrès.  

La Cosmographia Universalis de Sebastian Münster est un ouvrage majeur du XVIe siècle. Seule la Bible fût plus éditée durant cette période. Véritable fenêtre ouverte sur la vision du monde au XVIe siècle, il nous faut aborder la Cosmographia Universalis avec tout le recul historique nécessaire, comme le souligne Lucien Gallois, géographe français mort en 1941.

Munster enfin, qui écrit au milieu du siècle, proteste bien dans quelques passages contre ces fables, mais il rapporte avec tant de complaisance et accompagne ses récits de si curieuses et si amusantes gravures, qu'on peut se demander s'il n'a pas contribué ainsi à les répandre dans la foule ignorante, beaucoup plus qu'à les détruire !

 

 

  • L'ouvrage Cosmographia Universalis de Sebastian Münster est consultable en salle de lecture à la Bibliothèque Patrimoniale de Pau, à L'Usine des Tramways sous la cote E 87 R.
  • L'exemplaire de l'édition latine de 1550 de la Bibliothèque municipale d'Orléans est consultable en ligne.
  • L'exemplaire de l'édition latine de 1559 est consultable en ligne sur Gallica.

 

Recherches réalisées par Louis Galleras, universitaire.